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En octobre 1991, la Côte d’Ivoire est confrontée à une fuite de pétrole qui pollue gravement ses côtes. Suite à cet événement, il créé le centre ivoirien anti-pollution (CIAPOL). Chargée de lutter contre la pollution dans le pays, cette institution affrontera en 2006 la plus grande crise environnementale que connaîtra le pays, la tragédie du Probo Koala.

Quand le CIAPOL est créé, ses missions sont claires. Cet établissement public à caractère administratif (EPA) a pour rôle de l’analyse des eaux, des déchets et des résidus, l’évaluation des pollutions et nuisances et la mise en place d’uns système de surveillance continue des milieux, en autres. Pour y parvenir, il disposera d’un laboratoire central de l’environnement et d’une compagnie d’intervention contre les pollutions du milieu marin et lagunaire. Pendant ensuite 15 ans, l’EPA mènera une existence discrète. Jusqu’au 19 août 2006. Cette nuit-là, le Probo Koala, un navire grec affrété par le négociant Trafigura déverse des déchets toxiques à Abidjan. Pour bien comprendre les origines de la tragédie, il faut remonter quelques semaines en arrière.

Probo Koala: la mort à bord

Le probo Koala a passé les mois d’Avril, mai et juin dans la Méditerranée. À son bord, ses affréteurs ont procédé au lavage de trois cargaisons de naphta de cokéfaction. Cette opération permet de transformer du pétrole non-raffiné appelé naphta de cokéfaction en carburant. Ce pétrole non-raffiné étant vendu à des prix très bas, il offrait des marges importantes une fois transformé. Mais le naphta de cokéfaction avait une haute teneur en soufre mercaptan, un produit hautement toxique.

Le navire arrive au port d’Amsterdam où il doit déverser les déchets issus de cette opération de lavage. Si le Probo Koala annonce juste des boues MARPOL, l’enleveur constate une forte odeur putride. Il se livre donc à des tests supplémentaires et réalise qu’il s’agit en fait de déchets toxiques et nécessitant un traitement particulier. Il augmente donc sa facture et indique à Trafigura qu’elle devra payer 1000 euros/m3 de déchets à traiter contre 27 euros/m3 initialement. Le négociant demande au navire de ré-embarquer les déchets.

Le Probo Koala se dirige ensuite vers Lomé, puis Lagos, où il essaie de décharger ses déchets sans succès. Il fera ensuite route vers Abidjan. Là, Trafigura contacte un prestataire local, la compagnie Tommy, qui prend la responsabilité d’enlever les déchets. Le prix que Tommy propose est de 30 $/ m3, soit 35 fois moins que le tarif proposé à Amsterdam.

Trafigura, savait-il que Tommy était une société nouvellement créée, dont l’octroi de la licence n’a pas respecté toutes les étapes de la procédure? Toujours est-il que les déchets sont récupérés par les camions de la compagnie Tommy puis déversés dans différentes décharges d’Abidjan.

Dès le lendemain, les populations se plaignent d’une odeur d’œuf pourri qui provoque entre autres, maux de tête, problèmes respiratoires et dermatologiques. 17 personnes en mourront et on estimera à 100 000 personnes environ, la population qui est entrée en contact avec les déchets toxiques.

 

CIAPOL: une réaction prompte mais entravée

Immédiatement alerté, le CIAPOL entre dans la danse. Les recherches indiquent que les déchets à l’origine de cette odeur proviennent du Probo Koala. La structure étatique effectue les premières analyses. Elle identifie des produits toxiques, plutôt que de simples boues MARPOL, comme indiqué par le Probo Koala, et sonne l’alerte. Elle exige des autorités qu’elles retiennent le navire à quai, le temps de l’enquête. Les responsables du port estiment qu’elles ne peuvent pas retenir le Probo Koala et exigent une réquisition du procureur de la république. Le navire repart donc.

Plus tard, la commission d’enquête mise en place pour établir la vérité pointera du doigt la responsabilité des autorités portuaires dans la déroulement de la crise, ainsi que des dysfonctionnements administratifs.

Si on ne peut blâmer le CIAPOL qui a fait de son mieux au vu de la situation, il faut noter que ces dysfonctionnement l’ont empêché de donner sa pleine mesure dans ce scandale. En effet, Amnesty International explique dans son rapport «Une vérité toxique», que la collaboration entre le CIAPOL et les autorités portuaires n’était pas optimale. A titre d’exemple, le CIAPOL ne pouvait pas inspecter systématiquement les navires à quai.

 

Le chemin de la renaissance

Depuis 2006, le CIAPOL se bat pour qu’une telle catastrophe ne se reproduise plus. Déjà en en 2007, il a été doté d’une unité de police pour la lutte contre la pollution des milieux récepteurs. Cette unité baptisé UNIPOL a pour mission de rechercher, de constater et de réprimer les infractions à la législation sur la pollution.

Chaque année, l’EPA exécute le plan Pollumar destiné à prévenir des accidents susceptibles de polluer les milieux marins et lagunaires. Deux ans après les événements, l’EPA estimait que le pays ne pouvait faire face qu’à une pollution de l’ordre de 500 m3. Au-delà, il était contraint de recourir à l’aide extérieure. Aussi, a-t-il mis les bouchées doubles en matière de formation de son personnel, de sensibilisation et de préparation aux risques.

En 2019, la structure était au port de San-Pedro pour un exercice destiné à tester ses capacités de réactions en cas de déversement d’hydrocarbures en mer. Cette opération intervenait alors que la ville va bientôt devenir un producteur majeur d’hydrocarbures dans la région. Alors que les autorités se projettent et veulent faire de la Côte d’Ivoire un eldorado petro-gazier, le CIAPOL, lui, fait toujours preuve de diligence. Le spectre du Probo Koala n’est jamais loin.