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Depuis le milieu des années 2010, la législation a évolué dans divers pays afin d’assurer une meilleure protection des milieux naturels. Preuve de cette évolution plusieurs écosystèmes naturels ont désormais acquis un statut juridique de personne morale. En quoi consiste cette évolution, quel est son impact, et comment pourrait-elle se traduire de façon positive en Afrique ?
En 2017, c’est l’une des nouvelles majeures qui secoue le paysage politique néo-zélandais. Le parlement a décidé d’octroyer au fleuve Whanganui le statut juridique de personne morale. Ce faisant, il accédait aux doléances de la tribu Maorie Iwi qui vit à proximité de ce fleuve, et mettait ainsi terme à plus de 70 ans de litiges. En effet, les Iwis réclamaient ce statut juridique de personne morale pour le fleuve afin de mieux le protéger.
Grâce à la reconnaissance du Whanganui comme personne morale, le cours d’eau pourra désormais être représenté légalement devant les tribunaux et poursuivre tous ceux dont les activités portent atteinte à son environnement.
Outre l’attribution de ce statut juridique, le gouvernement néo-zélandais a dédommagé les Iwis, considérés désormais comme gardiens du fleuve à hauteur de 52,2 millions d’euros en guise de réparation pour la pollution causée par les activités menées sur le fleuve et leur a également octroyé 20 millions d’euros pour améliorer l’état du Whanganui.
Cette disposition permet de répondre à une situation qui rendait difficile de poursuivre les auteurs d’atteinte à l’intégrité d’un milieu naturel. En effet, une plainte doit être motivée par le fait qu’une activité cause une nuisance directe à une population humaine vivant dans ou à proximité de ce milieu.
Or, grâce à ce nouveau statut, le milieu, représenté par des “tuteurs” peut ester en justice et obtenir réparation. Si jusque-là ce n’était pas possible, Victor David, juriste à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie et chercheur en droit à l’environnement, estime que cela découle d’une certaine vision, très occidentale, du monde. En effet, la « tradition occidentale qui introduit cette séparation de l’homme et de la nature. L’homme est au-dessus des éléments de la nature. Elle est à son service.» dit-il. Elle conçoit donc assez difficilement d’octroyer des droits à des entités naturelles.
La naissance d’un effet domino
La victoire des Iwis a inspiré l’Inde. En effet, la Haute Cour de l’Etat de l’Uttarakhand, dans le nord de l’Inde, a octroyé au Gange (un fleuve sacré long de 2500 km) et à son affluent la rivière Yamuna, le statut juridique de personne morale. Il s’agissait pour les autorités de protéger ces cours d’eau qui subissaient des formes de pollutions sévères liées aux usages domestiques et aux activités industrielles (présence de métaux lourds dans le fleuve).
Alors que le fleuve est classé depuis 2008 sur la liste des dix fleuves les plus pollués au monde selon le Fonds mondial pour la nature (WWF), le gouvernement indien s’est décidé à agir. ”La situation requiert des mesures extraordinaires pour préserver et conserver ces rivières” ont indiqué les autorités indiennes pour justifier leur décision.
Des progrès partout, un exemple pour l’Afrique
Les progrès enregistrés en matière de législation sur les milieux naturels en Nouvelle-Zélande et en Inde ont inspiré d’autres nations. Ainsi, aujourd’hui, des milieux comme le lac Erie en Amérique du Nord ou la portion de la forêt amazonienne située en Colombie disposent de ce statut de personne morale.
En Afrique, ces évolutions devraient être suivies de près. En effet, sur le continent la principale source de revenus est l’exploitation des ressources naturelles. Cette situation n’est pas sans conséquence sur les milieux naturels et les populations. L’octroi de la personnalité morale à des écosystèmes permettrait une meilleure exploitation de ces derniers, une amélioration des conditions de vies des populations vivant dans ces milieux.
Elle marquerait également une forme de justice sociale susceptible d’apaiser les tensions secouant les pays disposant de richesses naturelles et dont la répartition des revenus qui sont issus de leur exploitation est souvent inégale. Néanmoins, soulignent les analystes, il faudra vaincre bien des réticences pour généraliser ce statut. Ainsi que l’explique Marie-Angèle Hermitte, directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), « A chaque fois que vous donnez des droits à une nouvelle entité, vous avez des gens qui sont persuadés que cela diminue les leurs. »
1. https://www.lesechos.fr/2017/03/quand-les-cours-deau-deviennent-des-personnes-morales-164007