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Et si l’Afrique avait signé un marché de dupes ? Alors que le continent dépend essentiellement de l’exportation de ses matières premières, notamment minières, les pays africains ont dû accorder des facilités aux industriels pour s’installer. Ce faisant, ils causaient un manque à gagner dans leur trésorerie. Dans le même temps l’exploitation de ces ressources minières crée des dégâts environnementaux dont les populations locales supportent les coûts.

En Afrique les activités extractives ont représenté 2/3 des exportations du continent sur les 15 premières années du 21ème siècle. Si ce chiffre traduit assez bien la prédominance des ressources minières et des hydrocarbures dans les économies africaines, il masque en revanche d’autres réalités. En effet, explique l’Agence Française de Développement (AFD) dans son rapport « L’exploitation minière en Afrique : les communautés locales en tirent-elles parti?»,

Le secteur minier crée assez peu d’avantages pour les populations des pays riches en ressources minières. Leur espérance de vie est inférieure de 4,5 ans à celle des habitants des autres pays. L’alphabétisation est en recul de 3,1 points tandis que les femmes et les enfants y sont plus mal nourris (+3.7 et 2.1 pts respectivement). En outre le secteur offre peu d’emplois pour les communautés locales. Ces chiffres traduisent l’histoire de l’exploitation des ressources minières sur le continent qui est le récit d’une prise en main mal pensée.

Aux indépendances, les nouveaux Etats nationalisent les infrastructures minières. Ils profitent alors d’un super-cycle marqué par des cours élevés. Néanmoins, les investissements dans l’appareil productif ne suivent pas. Le besoin en infrastructures (route, énergie etc.) et en main d’œuvre qualifiée est énorme. Alors survient au détour des années 80 une crise des produits miniers. Les cours chutent, les pays producteurs sont étranglés et sont obligés de recourir à la Banque mondiale. Les experts de Bretton Woods mettent en place un cadre visant à attirer les investisseurs. Celui-ci se traduit entre autres par des facilités fiscales et des concessions de la part des Etats en matière de politique environnementale.

Les cours repartent à la hausse, mais très vite, les nations africaines constatent qu’elles ne tirent pas parti de tous les avantages que peuvent offrir leurs richesses. La Banque  Mondiale elle-même reconnaîtra que les cadres mis en place ne sont pas de nature à favoriser une participation durable des ressources minières au développement des pays africains. Entre avantages disproportionnés et mauvaise gestion de la rente minière, la plupart des pays africains sont poursuivis par ce que les experts appellent “la maladie hollandaise”: le déclin des autres activités au profit de la dépendance à la rente des matières premières. Pendant ce temps, les populations elles, paient les concessions de leurs Etats au prix fort.

 

Un tribut environnemental élevé payé par les populations

L’exploitation minière est, par essence, une activité extrêmement polluante. En effet, les procédés d’extraction, de lavage et de transformation des minerais affectent durablement les sols, l’air et les cours d’eau. Les populations voisines des exploitations sont les premières à payer le prix fort. Ainsi que l’explique Abraham Mwesigye, spécialiste de l’environnement au département de biologie forestière et de gestion des écosystèmes de l’Université Makerere en Ouganda, Les gens qui vivent dans les zones minières, produisent de la nourriture à partir de sols contaminés, utilisent de l’eau remplie de déchets toxiques miniers et beaucoup souffrent de maladies comme le cancer, les ulcères et autres complications gastriques.»

La productivité agricole est affectée car les produits chimiques issus de l’exploitation minière pénètrent les sols et les rendent infertiles ou alors se retrouvent dans les plantes, les rendant impropres à la consommation. « Chaque jour, les gens mangent des aliments contaminés et boivent de l’eau toxique ». De plus, les résidus miniers se propagent portés par le vent et ont des conséquences comme les retards de croissance, ou le développement ralenti du cerveau des enfants. Une étude portant sur 800 mines dans 44 pays en développement a démontré que « des pollutions au plomb et d’autres métaux lourds sont associées à une augmentation de 3 à 10 points du taux de femmes anémiées et une augmentation de 5 points dans l’incidence de retards de croissance chez les enfants des communautés minières. »

Au Ghana, dans l’aire d’influence de la mine d’Obuasi, «la teneur moyenne en arsenic de l’eau sur une année d’échantillonnage est ainsi de 25 μg/L, ce qui représente plus de cinquante fois la valeur préconisée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour l’eau potable. »

Dans le même temps, les populations ne bénéficient pas toujours des avantages liés à l’exploitation des ressources de leur sous-sol. Au Mali par exemple, le secteur minier contribue au produit intérieur brut (PIB) à hauteur de 7% mais moins de 1% de la population est active dans ce secteur.

Cette situation n’est pas sans créer des tensions. Si les exemples de la Sierra Leone ou de la République  Démocratique du Congo ont été les plus frappants par le passé, dans beaucoup d’endroits sur le continent, les ressources minières sont au cœur de conflits. Aujourd’hui, pour les populations, l’enjeu est de pouvoir tirer profit de ces ressources tout en profitant d’un cadre de vie acceptable. Pour y parvenir, tous s’accordent aujourd’hui sur la nécessité de trouver un modèle profitable à tous.

 

La difficile quête d’un modèle.

Pour les pays africains, la mise en place d’un modèle profitable en matière de d’exploitation des ressources minières passe par la refonte des codes miniers. Or, d’une façon générale, les acteurs de l’industrie perçoivent d’une façon assez négative la façon dont cette opération. En effet explique Charles Bourgeois, avocat au barreau de Paris, spécialiste du droit minier.

« Si les législations minières peuvent bien entendu être réformées, la durée de vie généralement longue des mines et l’importance considérable des investissements consentis exigent à minima que les dispositions du nouveau code ne s’appliquent qu’aux « nouveaux arrivants » et non à ceux qui ont déjà investi sur la base d’un ancien texte dont les dispositions ont motivé leur décision d’investissement. » Et de poursuivre plus loin, « c’est la perte de la confiance en la parole de l’Etat qui fait fuir les investisseurs, pas les réformes. »

Pour illustrer cette perception, on a encore à l’esprit les négociations difficiles entre l’Etat du Niger et la compagnie française Areva sur la mine d’Imouraren en 2013. Mahamadou Issoufou, alors Président déclarait : « L’uranium est une ressource qui ne rapporte pas au Niger. Le pays reçoit du secteur de l’uranium à peine 100 millions d’euros par an. Cela représente 5 % à peine de notre budget, ce n’est pas admissible. »

Au-delà de la refonte des codes miniers, les Etats africains doivent sortir de cette concurrence du moins-disant qui consiste à octroyer aux entreprises minières le plus d’avantages possibles au détriment de la sécurité environnementale et des bénéfices financiers de la nation, afin de les attirer. La mise en place d’un cadre comme l’Initiative pour la transparence dans les Industries Extractives (ITIE) peut favoriser une telle remise en question. En effet, ce cadre est aujourd’hui devenu la norme mondiale pour la promotion d’une gouvernance ouverte et redevable des ressources pétrolières, gazières et minérales. En outre, à l’échelle du continent, l’Union Africaine a adopté en 2009, la Vision pour l’Industrie minière en Afrique, qui ambitionne encourager une exploitation transparente, équitable et optimale des ressources minérales pour soutenir une croissance durable à base élargie et le développement socio-économique ». Mais il y aloin de la coupe aux lèvres.

Sources (non-exhaustives)

https://www.france24.com/fr/20130204-areva-niger-uranium-issoufou-prix-nucleaire-negociation-rente-ressource-energie-mine-imouraren

https://www.agenceecofin.com/hebdop2/1701-63286-me-charles-bourgeois-c-est-la-perte-de-confiance-en-la-parole-de-l-etat-qui-fait-fuir-les-investisseurs-pas-les-reformes

https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2013-2-page-85.htm

https://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/news/mines-abandonneees-bombe/